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26 juin 2011 7 26 /06 /juin /2011 19:31

« C’est l’accumulation de toutes ces coercitions, de toutes ces répressions parfois imperceptibles, qui se condensent dans un acte de révolte, saut intensif ou acte explosif. C’est ce que Bergson désigne sous le terme d’ « émotion créatrice ». Qu’est-ce que l’émotion créatrice en effet ? L’émotion désigne l’intégrale de toutes les affections de la sensibilité qui précèdent l’intelligence et que l’intelligence ne peut réprimer puisqu’elle s’attache, non pas aux états affectifs du sujet, mais aux objets sur lesquels ces états se cristallisent. Telle est la tendance naturelle de l’intelligence. Dès lors qu’elle se sépare de l’émotion qui la porte, elle en réprime le « développement organique » pour lui substituer l’ordre logique de ses représentations. On ne suit plus l’effet que produit l’émotion à travers sa cristallisation dans l’objet ; on suit l’objet à travers la représentation des effets qu’on peut en attendre indépendamment de toute émotion. À ce niveau, l’émotion apparait toujours comme seconde et non pas cause. Inversement on peut parler d’émotion créatrice lorsque celle-ci engendre les objets qui lui correspondent et l’expriment. Ces objets deviennent alors de « véritables inventions, comparables à celles du musicien » […] Ce n’est plus l’objet qui provoque une émotion déterminée, c’est au contraire l’émotion qui engendre son objet, rendu à ses caractéristiques non humaines, supra ou sub-représentatives. Il y a quelque chose de cette tendance toutes les fois qu’on éprouve un affect nouveau, une émotion inouïe, d’ordre métaphysique, éthique ou esthétique. […]

C’est l’ensemble de ces affects créateurs qui nous attache à la vie. L’attachement n’est plus indirect comme dans les formes précédentes. Il n’en passe plus ni par la société des hommes (tout de l’obligation) ni par une société d’ « êtres fantasmatiques » (tout de la religion). Il procède de la vie même en tant que celle-ci coïncide désormais avec son principe créateur. La vie nous attache à elle par sa puissance créatrice en tant que création de soi par soi. L’attachement devient ainsi amour et produit la joie comme son affect essentiel. Libérée des formes de la représentation, libérée des cercles où tournoie l’espèce, libérée de la volonté humaine, libérée de toute médiation dialectique, la création ne connait plus d’obstacles et s’expérimente alors comme divine. Plus rien ne sépare l’exigence de création du principe vital de l’acte créateur lui-même sinon leur différence de niveau. Comme dit Bergson, l’individu agit en même temps qu’il est « agi », comme si abdiquer sa volonté le faisait accéder à une volonté plus puissance encore. L’attachement à la vie se confond avec une nouvelle forme de confiance : « C’est désormais, pour l’âme, une surabondance de vie. C’est un immense élan. C’est une poussée irrésistible qui la jette dans les plus vastes entreprises. Une exaltation calme de toutes ses facultés fait qu’elle voit grand et, si faible soit-elle, réalise puissamment ». » 

 

LAPOUJADE, David, Puissances du temps. Versions de Bergson, Paris, Les Éditions de Minuit, 2010, p. 95-98.

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